Doit-on s’attendre à un flou total sur le traitement et la protection des données en matière d’immigration par le Home Office britannique ? C’est ce que de nombreuses personnalités de tout bord craignent au Royaume-Uni, après le scandale du Windrush. Le nouveau projet de loi Data Protection Bill 2017 risque de conduire à une opacité totale sur la façon dont les décisions sont rendues sur la délivrance des visas britanniques, un avis qui est partagé par beaucoup d’agence d’avocats spécialisées dans le domaine de l’immigration au Royaume-Uni. En-effet ces avocats lorsqu’ils font appel d’une décision du Home Office concernant leurs clients, doivent avoir accès aux données de ces derniers. Cette loi pourrait justement limiter l’accès à ces informations comme stipulé dans le paragraphe 4 :
"Les dispositions du RGPD ne s’appliqueront pas au maintien d’un contrôle d’immigration efficace, ou à l’enquête ou la détection d’activités qui compromettraient le maintien d’un contrôle efficace de l’immigration", c’est l’exemption de contrôle de l’immigration (« immigration control exemption »).
L’Information Commissioner’s Office (organisme public de régulation chargé du respect des différentes lois sur la protections des données passées depuis 1998, équivalent de la CNIL en France) a lui dénoncé les dérives potentielles de ce projet :
"La plupart des plaintes déposées auprès du Information Commissioner’s Office visant le Home Office concernent des demandes d’accès à des données personnelles adressées à UK Visas et les services de l’immigration, principalement par des avocats agissant au nom de demandeurs d’asile. Cette exemption pourrait potentiellement rendre les données personnelles impossibles à obtenir pour la personne concernée, ce qui pourrait être préjudiciable aux personnes qui font appel des décisions d’asile, par exemple. Si l’exemption est appliquée, les individus ne seront pas en mesure d’accéder à leurs données personnelles pour identifier des inexactitudes factuelles et cela signifiera que le système manque de transparence et est fondamentalement injuste."
C’est justement cette faille que combattent les avocats du secteur, parce qu’elle pourrait interdire l’accès à des informations concernant leurs clients (les Subject Access Requests ou SARs), ou diminuer la capacité de mener leur travail à bien, en l’absence de tout dossier des services de l’immigration, que ce soit pour faire appel de décisions négatives concernant un visa ou faire face à des disputes judiciaires contre le retrait, la détention et la privation de la citoyenneté britannique.
Toujours suivant cette exemption, les avocats spécialistes de l’immigration notent dans le texte de loi que "les régulateurs de la protection des données, y compris le Home Office, ne seraient pas obligés de répondre aux demandes d’accès soumises par des personnes souhaitant savoir quelles données les concernant sont conservées, si le Home Office détermine que la réponse engagerait l’exemption". Ce qui signifie simplement qu’il ne sera pas possible de vérifier si des erreurs ont été commises dans le traitement d’un dossier de visa, que le système manque de transparence et qu’il est injuste. Un coût potentiellement élevé pour les personnes postulant par exemple pour des visas britanniques de fiancé ou mariage, de travail Tier2 ou Tier1 en dehors du Royaume-Uni.
Déjà fin avril le Guardian rapportait les propos de Diane Abbott, secrétaire d’État à l’Intérieur du cabinet fantôme (cabinet responsable de l’observation du Home Secretary) : "Le dernier projet de loi sur la protection des données montre que le scandale Windrush n’est pas une erreur. Le projet de loi exempte les questions d’immigration de la protection des données. Cela peut être pour n’importe quel migrant, ou soupçonné d’en être un, comme dans les cas de Windrush. Ils devraient modifier ce projet de loi. Il est inacceptable que le gouvernement fasse pression en passant une loi qui permet aux agences de violer les droits de protection des données pour quiconque est soupçonné d’être un migrant. Ainsi ils montreront qu’ils n’ont rien appris et sont déterminés à maintenir un environnement hostile aux migrants à n’importe quel prix humain."
Toujours selon le Guardian, Joe Egan, le président de la Law Society of England and Wales est lui aussi très critique sur le Data Protection Bill 2017 : "Le Home Office a des antécédents notoirement mauvais en matière de prise de décision illégale, ce qui peut avoir des conséquences catastrophiques (…)".
"Quiconque cherche à obtenir ses propres données personnelles auprès du Home Office pourrait se voir refuser l’accès sans justification et sans possibilité d’appel."
Évidemment les médias britanniques et toutes les associations de défense des droits civiques sont montées au créneau, reste à savoir si leur action pourra peser dans le débat.